Rien ne s'oppose à la nuit

Rien ne s'oppose à la nuit

Language: French

Pages: 0

ISBN: B00TCOMWTM

Format: PDF / Kindle (mobi) / ePub


"Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui, je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence."

Après No et Moi et Les Heures souterraines, Delphine de Vigan nous propose une plongée bouleversante au cœur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis. Ce sont toutes nos failles et nos blessures qu'elle déroule ici avec force.

Marianne Epin réussit cette performance de donner autant d'intensité aux souvenirs lumineux qu'évoque Delphine de Vigan que de profondeur aux silences qui les entourent, et peut-être en dénoncent l'éclat trompeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

de suite, Manon avait compris, Manon a crié non non non, ce n’est pas possible, j’ai pensé qu’on était mercredi et qu’elle était avec ses filles, que ses filles étaient en train d’entendre Manon hurler, je ne sais plus ce que j’ai dit, j’ai essayé d’expliquer, la lettre, Lucile dans son lit, les médicaments, je pleurais, je tremblais, j’ai dit à Manon que je l’aimais, elle n’a pas entendu, elle m’a fait répéter, elle m’a demandé où j’étais, elle a dit sors de là, sors de là. Avec sa voix au

l’arrière-plan, Milo, Justine, Lisbeth et Lucile, assis sur le dossier de la banquette arrière, regardent l’objectif. Dans la lumière d’été, tous sourient, non pas du sourire figé des photos posées, mais d’un sourire vrai, amusé. Les cheveux de Jean-Marc ont poussé, ses joues se sont remplies. Lucile est appuyée sur la portière, les cheveux tirés en queue-de-cheval, elle est ravissante, elle rit. Comme malgré eux, les enfants se sont serrés sur la partie droite de la photo, à côté de Milo une

née, quelques semaines après l’enterrement d’Antonin, plus dodue et vigoureuse encore que tous les autres, Liane avait pensé que Dieu lui envoyait un signe. Ou un cadeau. La naissance de Violette avait enveloppé son chagrin d’un voile de fatigue et de plénitude. Violette absorbait toute son énergie et, dans le même temps, la maintenait en vie. Liane aimait les nourrissons, leur odeur aux plis du cou, leurs doigts minuscules, et le lait qui s’écoulait de ses seins au milieu de la nuit. Liane était

faire le pont, ni pencher son corps vers l’avant pour attraper ses pieds quand elle était assise. Elle n’avait jamais su faire la roue, ni les sauts de biche, ni le poirier. Le corps de Lucile était noué, récalcitrant, impossible à délier. Tout juste était-elle capable d’exécuter une roulade avant, et encore, au meilleur de sa forme. Mlle Mareuil voyait dans cette absence d’aptitude sportive une offense dirigée contre elle, une insulte prononcée à voix basse, chaque vendredi renouvelée. Elle

à chacune de mes visites, à me présenter. Madame R., Monsieur V., Nadine, Hélène, Madame G., une véritable tournée des popotes qui se terminait généralement par cette longue femme habillée de noir, qui me regardait avec le même air halluciné et répétait à Lucile elle est belle votre fille sur un ton de malédiction. Lucile partageait sa chambre avec une Hongroise à la peau transparente dont le visage semblait avoir échappé au temps. J’avais dix-sept ans, j’ignorais tout de la maladie mentale. Les

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